JAQUES DAVID DU PERRON



[La Croix du Maine, page 182]
JAQUES DAVID DU PERRON, sieur dudit lieu, ♦precepteur
du Roy de France & de Polongne, Henry troisiesme du nom: fils
aisné de defunct Julien David du Perron (duquel nous parlerons
cy apres) tous deux nez en la ville de Sainct Lo en Norman-
die &c.

Il a fait un recueil des discours, sur plusieurs differents subjects ,
en Philosophie & Mathematiques, lesquels il a prononcez devant
la Majesté du Roy: Il y en a plus de soixante fueilles imprimees,
chez Federic Morel à Paris, lesquels ne sont pas encores en lumie-
re, encores qu'il y ait pres de trois ans, qu'ils ayent esté commen-
cez à imprimer: mais j 'ay opinion, que la principalle occasion qui
l'a retenu de les faire publier, est que il y a plusieurs choses en ce
livre , faisans mention de Caie Jules de Guersans (duquel nous
avons parlé cy devant ) lesquelles il ne voudroit mettre en public,
auparavant que de l' avoir bien reveu : d'autant que pour lors ils
n'estoyent joincts de telle amitié, comme ils ont esté par apres.

Je croy donq que le retardement de l'edition de son livre ne
provient que pour cette raison, ou pour avoir esté depuis empes-
ché à choses, qui ne luy permettoyent d'y vaquer, selon qu'il l'eust
bien desiré.

Je n'ay encores veu ce livre , qui est cause, que je n'en peux pas
donner jugement , ny mesmes parler au vray des matieres conte-
nues en iceluy. Si pourray- je bien toutesfois asseurer, que ledit
sieur du Perron ne cede en rien aux plus rares esprits de son sie-
cle, soit pour la cognoissance des langues, ou pour la philosophie
& les Mathematiques: ou bien encores pour toutes les autres par-
ties, que l'on voudra rechercher en son divin esprit: mesmes jus -
ques à là, que d' avoir une perfection de composer, en tous gen-
res de vers: Ce que je ne dy pour penser m'aquerir son amitié
par ces propos susdits, mais selon que la verité, que je cognoy en
cela, me convie à la dire: estant contraire en cecy à beau-
coup, qui estans jaloux des autres, ne peuvent loüer aucun. Ce
n'est pas seulement pour les perfections susdites, que l'on fait tant
de cas du sieur du Perron: mais encores pour la divine memoire, qu'il
a pleu à Dieu luy departir, laquelle est telle, & si esmerveillable ,
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que si je n'eusse moy-mesme fait l'experience d'icelle, je n'eusse
jamais creu, ce que j 'y ay cogneu de tant miraculeux: mais je suis con-
traint (pour le respect & amitié que je luy porte) d'en laisser icy le tes-
moignage qu'il m'en fist, il y a plus d' un an: ce que je repeteray d'autant
plus volontiers pour les propos qu'il me tint durant cet affaire, qui
estoyent tels, qu'il avoit mieux aimé faire cet essay de luy en mon en-
droit, qu'à pas un autre quel qu'il fust, à cause (disoit-il) que je m'en
pourrois mieux souvenir & rendre tesmoignage (en quoy il ne s'est
point abusé) car il prevoyoit bien en celà, ce que il en verra advenir
tout maintenant.

Voicy donq ce qu'il y a de tant remarquable, touchant sa divine me-
moire (ce qui ne devra estre odieux à pas un , si je suis un peu long à le
discourir) car je pourroy dire autres choses, qui ne seroyent pas de telle
consequence, & pour personnes de moindre valeur.

L'an passé 1583. Mathieu Bossulus Parisien (l' un des premiers philo-
sophes, & des plus eloquents Orateurs de nostre siecle) prononça une
for docte harangue, au college de Boncour à Paris, en la louange de
l'art Oratoire & des Orateurs, laquelle dura environ d' une heure & de-
mie, à la prononciation de laquelle estoit present ledit sieur du Perron,
avec autres, des premiers hommes de ce siecle (lesquels je nommeray
par honneur) sçavoir est, Messieurs Cuias, Scaliger, Baif, des Portes, &
autres en nombre infiny, & il advint qu'à trois jours apres, le sieur du
Perron me rencontra dans la grande salle du Palais de Paris, auquel je
feis recit du plaisir que j ' avois receu ayant ouy haranguer un si gentil
personnage que ledit Bossulus, il me respondit alors, que si je voulois
ouir repeter de mot à mot toute ladite harangue, qu'il me la reciteroit
promptement, & sans y faillir d' un seul point, ce que l'ayant prié de ce
faire, il commença à reciter cette docte Oraison, par les mesmes vers
desquels avoit usé ledit Bossulus, & la continua si avant , que voyant
assez de preuve de sa memoire, je le priay de cesser: car cela eust duré
plus d' une heure, mais seulement je me contentay de l' avoir ouy dis-
courir par l'espace d' une demie heure ou environ . Et de peur que l'on
ne pense que je ne sceusse pas, s'il repetoit la mesme chose qui ♦avoir esté
dite: J ' advertis ceux qui liront cecy, que je me souvenois bien, si ce
qu'il disoit estoit ainsi: car je fuz present à ladite oraison prononcee
par Bossulus, & m'en souvenois aussi bien que si je l'eusse leuë escrite
dans un livre : mais ce qui est plus à admirer, c'est que je le prioys de me
repeter les periodes entrelacees sans la continuer, ce qu'il fist encores:
& sur ce qui est le plus difficile en cecy, c'estoit de nommer toutes les
sortes d'armes, & tous les noms usitez en guerre, desquels usa ledit
Bossulus, parlant d' un certain Orateur, qui sembla estre descendu du
ciel, pour empescher que les deux armees du Roy François premier,
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& l'Empereur Charles le quint, ne se combatissent: il usa pour lors
d' une infinité de mots usitez entre les guerriers, & n'en laissa pas un
seul, ny mesmes les vers ou carmes de plusieurs autheurs, contenus en
la harangue dudit Bossulus. Que si quelques- uns avoyent opinion
qu'il eust apris ladite harangue, soit devant ou apres qu'elle fut pro-
noncee, cela ne se peult faire, car le seigneur Bossulus ne l'eust sceu luy-
mesme repeter de mot à mot, comme il l' avoit recitee, d'autant qu'il
l' avoit prononcee tout autrement en chaire, qu'il ne l' avoit premedi-
tee en son cerveau , tant à cause des celebres personnes, qui se trouve -
rent audit Boncour pour l'ouir (desquels il n'estoit pas adverty ) que
aussi pour avoir de coustume de ne rien escrire au long, de ce qu'il avoit
à dire en public (tant il est eloquent) mais bien seulement ayant mis par
articles les poincts qu'il veult traicter. Ce que je dy pour prevenir au-
cuns, qui pourroyent tourner cecy autrement que selon la verité du fait.

Monsieur de la Ruelle Pepin, gentilhomme de Bretagne, pourroit
tesmoigner cecy avecques moy en la presence duquel il fit la preuve
de cette belle & heureuse memoire, laquelle je prie à Dieu luy vouloir
conserver . Cecy n'est moins digne de merveille , que ce que nous lisons
és diverses leçons de Muret, touchant un Sicilien.

J 'entends qu'il traduist maintenant les livres d'Aristote traictants de
l'ame.

Il florist à Paris cette annee 1584. & devons esperer voir une infinité
de belles choses rares, tant de son invention que de sa traduction, s'il plaist
à Dieu luy donner une longue vie, laquelle je luy prie vouloir donner
telle, que je me la desire pour moy-mesme.